L’alchimie de la retranscription. Quand la parole se fait lenteur, fidélité et révélation.

Les 3 mois qui viennent de s’écouler furent essentiels dans le cadre de ma recherche. La poésie sur le Web ne se résume pas à des lignes de codes ni à des classifications esthétiques d’un autre temps. C’est avant tout une activité faite par des hommes et des femmes et il me tardait d’aller à leur rencontre. J’ai donc « fait » mon terrain et enchainé quinze entretiens, captés, enregistrés et consignés sur mes disques durs (on n’est jamais trop prudent…). Moments intenses mais moments fugaces où les mots et les paroles se percutent en pagaille et nous filent entre les doigts. Mille impressions, mille interrogations encore soulevées me donnent comme un goût d’inachevé. Mais un travail d’un nouveau genre m’attend maintenant : la retranscription d’entretiens.

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La retranscription d’entretiens, c’est d’abord la lenteur du procédé. Mes entretiens ont duré en moyenne 65 à 70 minutes. Mais vous n’imaginez pas l’extraordinaire conversion que fait subir à la parole le procédé de retranscription. Comme le trou noir que côtoient les héros du film Interstellar, l’acte de transcrire pèse de tout son poids et transforme l’heure d’entretien réel en 5 à 6 heures d’écoute et d’écriture fastidieuse sur mon traitement de texte. Non pas que je peine à dactylographier, mais la densité de l’échange aura certainement dû créer une influence gravitationnelle inédite et partant, un écoulement du temps plus lent…

Lenteur donc.

C’est ensuite la fidélité que l’on doit aux propos. Je n’écarte rien, ne corrige rien, ne modifie rien. Nous sommes là face à une règle scientifique. Et le langage oral nous gratifie bien souvent en retour de phrases alambiquées, de tics de langage, d’hésitations, de ça, de euh, de voilà, et d’autres encore. De césures vertigineuses qui brisent le sens et nous égarent dans des digressions, aériennes à l’oral, mais tout simplement incroyables une fois saisies à l’écrit. Des bouts de phrases qui se bousculent, qui se répètent. Tout un discours qui se crée dans la parole, une pensée qui se cherche et se génère par l’acte même de prononcer les mots.

… faire naitre l’image latente captée dans ce bref instant de l’entretien

C’est enfin une transformation, une « révélation » au même titre que la chambre noire où se pratique l’art du tirage photographique. Retranscrire, c’est développer la pellicule de la voix, saisir les sons, le grain féminin ou masculin, les rires, les soupirs. Toute cette matière riche de textures, de souffle articulé. C’est faire naitre l’image latente captée dans ce bref instant de l’entretien et le fixer sur la page blanche de mon ordinateur.

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Moine copiste au dur labeur dépeint par Umberto Ecco dans son Nom de la rose, je transcris, encore et encore en m’efforçant d’entendre ce qui est dit, parfois redit et en tentant de comprendre la manière dont tout cela est dit. J’écoute les idées naitre en direct. Celles de mes interviewés et celles qui jaillissent en moi, que je m’empresse de compiler sur mon journal de terrain. Comme le Zénon de Marguerite Yourcenar, libre penseur épris de savoir, je traverse la phase de retranscription comme mon Œuvre au noir et cherche à transformer par une alchimie toute scientifique, le plomb de ma pensée en or de la connaissance universitaire.

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